Résiliation fautive du marché public : les conséquences financières pour l’acheteur

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Le Cabinet a récemment obtenu une décision intéressante rendue par le  Tribunal administratif de Nantes (TA Nantes, 19 février 2020, n°  1806711), rendue dans le cadre d’un contentieux initié par un groupement de maîtrise d’œuvre à la suite d’une résiliation de son marché par l’acheteur public.

A la suite d’un différend dans le cadre de l’exécution du marché de  maîtrise d’œuvre, le maire de la commune a interpellé le groupement sur  la remise tardive des études APS et sur le dépassement du budget initial  de 109 000 euros et lui a demandé de fournir des études APS conformes  au coût prévisionnel des travaux dans un délai de quinze jours. Par un  courrier du 11 janvier 2018, la société X a contesté les manquements qui  lui étaient reprochés. Par un courrier du 9 février 2018, le maire a  décidé de résilier le marché pour faute en application des dispositions  de l’article 32.1 du cahier des clauses administratives générales  applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles (CCAG-PI)  du 16 septembre 2009. Par un courrier du 9 avril 2018, la société X a  contesté, par un mémoire en réclamation, le décompte de résiliation  joint à cette décision de résiliation. Sa demande a été rejetée le 25  mai 2018.

A la demande du Cabinet, le Tribunal administratif de Nantes a condamné l’acheteur public à leur verser les sommes de :

– 10.606,08 € au titre du paiement du solde du marché (pour la phase  APS exécutée), assortie des intérêts moratoires contractuels prévus au  CCP,

– 9.611,67 €, au titre de la perte de bénéfice non réalisé du fait de  la résiliation fautive du marché, assortie des intérêts au taux légal,

– 2.500 € en remboursement des frais d’avocat,

Soit une somme globale avant application des intérêts s’élevant à 22.717,75 €.

Pour juger ainsi, le Tribunal a admis toutes les irrégularités invoquées par le Cabinet, notamment :

– L’incompétence du maire pour résilier le marché, dès lors que seul le conseil municipal pouvait y procéder,

– L’irrégularité de la mise en demeure par laquelle le maire de la  commune avait invité le mandataire du groupement à lui faire part de ses  éventuelles observations préalablement à la résiliation pour faute (la  mise en demeure était postérieure à la remise d’une partie des  prestations et n’était assortie, pou le surplus, d’aucun délai  d’exécution comme l’impose le CCAG-PI).

Surtout, le Tribunal a jugé la résiliation infondée au regard  des deux motifs qui avaient été invoqués pour la justifier : un  prétendu dépassement du délai contractuel de livraison de l’APS et un  prétendu dépassement du coût prévisionnel des travaux.

1. En premier lieu, il a considéré que la remise des  études APS n’était pas tardive, et ne constituait dès lors pas une  faute contractuelle imputable au groupement, dès lors que la commune  était incapable de justifier de la notification au titulaire du marché  d’un ordre de service ou de l’accusé de réception d’un courrier ayant le  même effet, susceptible de déclencher le point de départ du délai  contractuel d’exécution de la prestation.

En clair et fort logiquement, aucun dépassement de délai  contractuel ne saurait être imputé au titulaire du marché par un  acheteur qui n’a pas commencé à le faire courir conformément aux  stipulations contractuelles :

« 6. En troisième lieu, pour résilier le marché, le maire de la  commune du Temple de Bretagne s’est fondé sur un premier motif tiré de  ce que les études d’avant-projet sommaire (APS) ont été remises le 19  décembre 2017, soit au-delà du délai contractuel de trois semaines prévu  par l’article 6 de l’acte d’engagement. D’une part, il résulte de  l’article 7.4.1 du cahier des clauses particulières (CCP) du marché que  le point de départ du délai de présentation des études d’APS  courait à compter de la date d’effet indiquée dans l’ordre de service  ou, à défaut, à compter de la date de l’accusé de réception par le  maître d’œuvre de l’ordre d’engager les études. En outre, l’article  7.6.2 prévoyait la nécessité d’un ordre de service du maître d’ouvrage  lorsqu’une décision marquait le point de départ d’un délai fixé par le  marché pour exécuter une prestation, tel que l’ordre donné au maître  d’œuvre d’engager un élément de mission. Si la commune se prévaut du  courrier notifié à la maîtrise d’œuvre le 20 octobre 2017,  celui-ci se bornait à valider l’esquisse n° 2 réalisée par le  groupement. Ainsi, faute pour la commune de justifier de l’émission d’un  ordre de service ou de l’accusé de réception d’un courrier ayant le  même effet, aucun délai contractuel n’a pu commencer à courir à  l’encontre du groupement de maîtrise d’œuvre pour la réalisation de ces  études. D’autre part, s’il résulte de l’instruction que la société DLB  s’était engagée, par un courriel du 25 octobre suivant, à remettre les  études d’APS pour le 27 novembre 2017, alors qu’elle ne les a  effectivement remises que le 19 décembre suivant, la commune du  temple-de-Bretagne ne conteste pas sérieusement que ce retard serait  imputable à son propre retard à communiquer des éléments nécessaires  pour la réalisation de ces études. Dans ces conditions, le maire de la commune n’établit pas que la remise tardive des études d’avant-projet sommaire constituerait une faute contractuelle ».

2. En deuxième lieu, il a considéré que le constat  du coût prévisionnel des travaux, d’une part, au stade de l’avancement  des études ne saurait constituer un motif de résiliation dès lors que le  CCP stipule uniquement que, dans ce cas, le maître d’œuvre doit  seulement reprendre gratuitement ses études, d’autre part, au stade  antérieur à l’APD ne constitue pas davantage une faute contractuelle dès  lors que le maître d’œuvre ne s’engage sur le respect du coût  prévisionnel des travaux qu’au vu de l’estimation définitive du coût des  travaux à l’issue de l’APD, cette estimation étant au surplus assortie  d’un taux de tolérance de 3%.

Dit plus simplement, le groupement de maîtrise d’œuvre n’est à  l’origine d’aucune faute contractuelle en raison d’un dépassement du  coût prévisionnel des travaux au stade de l’APS, dès lors qu’il  appartenait le cas échéant à l’acheteur public de solliciter une reprise  gratuite des études et que le maître d’œuvre n’est, à ce stade, pas  encore engagé sur le respect du coût prévisionnel des travaux, cet  engagement n’intervenant qu’à compter de l’APD :

« 7. Pour résilier le marché, le maire de la commune s’est  également fondé sur un second motif tiré de ce que les études d’APS  n’étaient pas conformes au coût prévisionnel des travaux. Aux termes de  l’article 30 du décret du 29 novembre 1993 relatif aux missions de  maîtrise d’œuvre confiées par des maîtres d’ouvrage publics à des  prestataires de droit privé alors en vigueur : « le contrat de  maîtrise d’œuvre précise, d’une part, les modalités selon lesquelles est  arrêté le coût prévisionnel assorti d’un seuil de tolérance, sur  lesquels s’engage le maître d’œuvre et, d’autre part, les conséquences  pour celui-ci des engagements souscrits ». D’une part, l’article 3  du CCP indique que l’estimation des travaux est évaluée à la somme de 1  316 000 euros HT pour la construction du bâtiment et l’aménagement des  parkings et espaces extérieurs et à celle de 65 000 euros HT pour la  construction d’une terrasse couverte. Toutefois, si l’article 9.1.1  stipule que le maître d’œuvre doit tenir compte du coût prévisionnel des  travaux au stade de l’avancement des études, lors de l’établissement  des prestations de chaque élément, faute de quoi il peut lui être  demandé de reprendre gratuitement ses études, il ne résulte d’aucune des  stipulations contractuelles que le non-respect de ce coût prévisionnel  puisse constituer un motif de résiliation du marché de maîtrise d’œuvre.  D’autre part, il résulte des stipulations de l’article 9.1.1 du CCP que  l’engagement du maître d’œuvre sur le respect du coût prévisionnel des  travaux n’intervient qu’au vu de l’estimation définitive du coût des  travaux à l’issue de l’avant-projet définitif (APD), et que cette  estimation définitive est, au surplus, assortie d’un taux de tolérance  de 3%. Dans ces conditions, le constat du dépassement du coût  prévisionnel des travaux au stade antérieur de l’avant-projet sommaire,  ne constitue pas davantage une faute contractuelle ».

3. En tout état de cause, le Tribunal administratif de Nantes a rappelé, « seule  une faute d’une gravité suffisante est de nature à justifier, en  l’absence de clause prévue à cet effet, la résiliation du marché aux  torts exclusifs de son titulaire ».

Or en l’espèce, ajoute la juridiction, tel n’aurait pu être le cas  puisqu’il résultait de l’instruction que le maître d’œuvre avait  expliqué à l’acheteur les raisons du dépassement, au stade de l’APS, du  coût prévisionnel des travaux (« solutions d’évacuation du réseau EP gravitaire, non prévu » initialement) mais également « listé  les prestations susceptibles de permettre, sans bouleverser l’économie  du projet de la personne publique, un ajustement à la baisse de son  montant ».

4. En conséquence, le Tribunal administratif a condamné l’acheteur public à verser au groupement de maîtrise d’œuvre :

– la somme qui restait due au titre du paiement du solde du marché  (pour la phase APS exécutée), assortie des intérêts moratoires  contractuels prévus au CCP (10.606,08 €),

– une somme au titre de la perte de bénéfice non réalisé du fait de  la résiliation fautive du marché, des intérêts au taux légal, déterminée  par application d’un coefficient de 10% correspondant à la marge nette  prévisionnelle des membres du groupement sur les honoraires restant dus (9.611,67 €),

– une somme en remboursement des frais d’avocat(2.500 €).

A titre d’information, s’agissant des délais pour obtenir une telle décision,  il peut être indiqué que la résiliation du marché avait été prononcée  le 9 février 2018, confirmée le 25 mai 2018, le Tribunal administratif  saisi le 23 juillet 2018 pour un jugement rendu le 19 février 2020.

La durée séparant la décision de résiliation de la décision du jugement est compensée en partie par l’allocation d’intérêts moratoires au taux annuel de 8%, soit près de 2.000 € supplémentaires au cas d’espèce en ce qui concerne le paiement du seul solde du marché.

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