Précisions sur le contentieux des décisions de préemption

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Dans un arrêt du 10 mai 2017 « ABH INVESTISSEMENTS » (n°398736), le  Conseil d’Etat précise les modalités d’invocation de deux types de moyens dans le cadre du contentieux des décisions de préemption :  d’un part, les modalités d’invocation de l’illégalité de la décision  instituant le droit de préemption (préalable à la décision de  préemption) ; d’autre part, les modalités de transmission de la décision  de préemption par l’autorité administrative.

En en effet, la haute juridiction administrative apporte deux précisions importantes :

  • La première se rapporte à la possibilité pour un requérant  potentiel de contester, par voie d’exception, l’illégalité d’un acte  instituant un droit de préemption (DPU) (1).
  • La deuxième se rapporte aux conditions de transmission de la décision de préemption (2).

Par une décision du 11 avril 2013, le Maire de Paris a décidé  d’exercer son droit de préemption afin d’acheter un immeuble situé dans  le 15e arrondissement de Paris. La société ABH investissements,  acquéreur évincé, a demandé l’annulation de cette décision de  préemption. Cette demande sera rejetée en première instance ainsi qu’en  appel, les juges du Palais Royal se sont prononcés.

NB : Un acte instituant un droit de préemption urbain (DPU) est  une délibération de la collectivité publique compétente afin de créer  les zones de préemption sur lesquelles sont instituées un droit de  préemption urbain (DPU), qui lui permettront par la suite de prendre une  décision de préemption afin d’acquérir prioritairement un bien situé  dans cette zone.

1.- LA PARALYSIE DU MECANISME DE L’EXCEPTION D’ILLEGALITE EN MATIERE DE DROIT DE PREEMPTION URBAIN

A l’appui de sa requête, la société ABH investissement a soulevé, par  voie d’exception, l’illégalité de l’acte instituant un DPU  (c’est-à-dire la délibération de la ville de Paris déterminant les zones  concernées par le droit de préemption urbain).

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a rappelé qu’il est possible d’invoquer, par voie d’exception, « l’illégalité  d’un acte administratif, qu’il soit ou non règlementaire […] à l’appui  de conclusions dirigées contre une décisions administrative ultérieur  que si cette dernière décision a pour base légale le premier acte ou été  prise pour son application ». En d’autres termes, pour  obtenir l’annulation de l’acte n°2 (en l’espèce, la décision de  préemption), encore faut-il qu’il existe un lien avec l’acte n°1 (en  l’espèce, la délibération instituant un DPU).

La recevabilité du mécanisme de l’exception d’illégalité dépend du  caractère règlementaire ou individuel de l’acte illégal dont le  requérant souhaite exciper l’illégalité.

  • Pour les actes règlementaires : il est possible d’exciper son illégalité de manière perpétuelle, donc sans limite de temps ;
  • Pour les actes non règlementaires : l’exception d’illégalité n’est  recevable que tant que l’acte individuel n’est pas devenu définitif.  Cette possibilité est donc limitée dans le temps.

1.1.- LA DELIBERATION INSTITUANT UN DPU N’EST PAS UN ACTE REGLEMENTAIRE

Le Conseil d’Etat a reconnu qu’il est possible d’invoquer par voie  d’exception, afin d’obtenir l’annulation de la décision de préemption,  l’illégalité de l’acte instituant un DPU. Ainsi, il a dû se prononcer  sur la nature juridique d’un acte instituant un DPU, en ces termes :

« Toutefois, cet acte, qui se borne à rendre  applicables dans la zone qu’il délimite les dispositions législatives et  réglementaires régissant l’exercice de ce droit, sans comporter  lui-même aucune disposition normative nouvelle, ne revêt pas un caractère réglementaire » (Voir aussi CAA Nantes, 12 février 2018 n°16NT01844).

1.2.- CONSEQUENCE : LA RESTRICTION DE LA RECEVABILITE DU MECANISME D’EXCEPTION D’ILLEGALITE

Le CE estime donc que  « s’agissant d’un acte non réglementaire,  l’exception n’est recevable que si l’acte n’est pas devenu définitif à  la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où, l’acte et la  décision ultérieure constituant les éléments d’une même opération  complexe, l’illégalité dont l’acte serait entaché peut être invoquée en  dépit du caractère définitif de cet acte ».

Trois cas de figure sont alors à envisager :

  • La délibération instituant le droit de préemption urbain n’est pas  devenue définitive, dans ce cas, l’illégalité de l’acte peut être  invoquée à l’occasion du recours dirigé contre la décision de préempter  le bien.
  • L’acte est devenu définitif mais entre dans le cadre de l’hypothèse  de l’opération complexe, la condition temporelle disparaît et  l’illégalité peut être soulevée par exception sans condition de délais.  En l’espèce, ce n’est pas non plus le cas.
  • La délibération instituant le droit de préemption urbain est  devenue définitive. Le mécanisme d’exception d’illégalité ne peut plus  être actionné, les administrés ne sont donc plus recevables à soulever  l’illégalité des anciennes délibérations devenues définitives à l’appui  de leur recours dirigé contre la décision de préemption, comme tel est le cas en l’espèce pour la société ABH investissements.
  • Il reste toutefois à charge de la commune, pour démontrer que l’acte  instituant le DPU est devenu définitif et ne peut donc, par conséquent,  être remis en cause, de prouver qu’elle a procédé à la publicité de  sa/ses délibération(s) instituant le DPU. A défaut, la limite ne pourra  plus être invoquée pour bloquer le mécanisme d’exception.

2.- LES CONDITIONS DE LA LEGALITE DE LA DECISION DE PREEMPTION

2.1.- LA RECEPTION DE LA DECISION DE PREEMPTION CONDITIONNE SA LEGALITE

La société a aussi contesté la légalité de la décision de préemption  eu égard à la question des délais courant à compter de la réception de  la déclaration d’intention d’aliéner. L’article L.213-2 du code de  l’urbanisme dispose que « Le silence du titulaire du droit de  préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration  mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l’exercice du droit de  préemption ».

Cependant, la haute assemblée ajoute que : « le propriétaire qui a  décidé de vendre un bien susceptible de faire l’objet d’une décision de  préemption doit savoir de façon certaine, au terme du délai de deux  mois imparti au titulaire du droit de préemption pour en faire  éventuellement usage, s’il peut ou non poursuivre l’aliénation  entreprise. La réception de la décision par le propriétaire  intéressé dans le délai de deux mois, à la suite de sa notification,  constitue, par suite, une condition de la légalité de la décision de  préemption ».

La date de réception de la déclaration d’intention d’aliéner  constitue le point de départ du délai de deux mois pendant lequel,  l’administration doit se prononcer.

2.2.- IL IMPORTE PEU QUE LE PROPRIETAIRE AIT EU CONNAISSANCE DE LA DECISION DE PREMPTION AFIN D’APPRECIER SA LEGALITE

Le Conseil d’Etat estime que la décision de l’administration peut être transmise :

  • Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception : dans  ce cas, la réception par le propriétaire doit être regardée comme  intervenant à la date à laquelle le pli est présenté pour la première  fois à l’adresse indiquée dans la déclaration d’intention d’aliéner.

Ainsi, réception ne rime pas avec connaissance. Peu importe que le  propriétaire ait été présent à son domicile ce jour ou qu’il soit allé  chercher son pli dans le délai de 15 jours après l’avis de passage.

  • Par signification d’huissier de Justice : celle-ci est réputée  effective dans les conditions prévues par l’article 656 du code de  procédure civile », donc à la date de premier passage de l’huissier.

L’article 656 du code de procédure civile dispose qu’en cas d’absence  du propriétaire destinataire, « l’huissier de justice laisse au  domicile ou à la résidence […] un avis de passage […], la copie de  l’acte est conservée à l’étude pendant trois mois… ». Ainsi, le  moment où le propriétaire a connaissance effective de la décision de  préemption est sans incidence sur l’appréciation de sa légalité.  La date de réception dans le délai de deux mois à compter de la  réception de la déclaration d’intention d’aliéner est celle qui  conditionne sa légalité.

En l’espèce, le Conseil d’Etat estime que : « La cour  administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant,  après avoir constaté que la ville de Paris avait reçu la déclaration  d’intention d’aliéner le 12 février 2013, qu’elle avait pu valablement  décider de préempter le bien en notifiant sa décision par acte  d’huissier signifié au domicile du propriétaire, le 12 avril 2013 ».

Cette précision du Conseil d’Etat se comprend aisément au regard de  la finalité de la notification de la décision de préemption. En effet,  il s’agit pour le propriétaire de savoir s’il peut procéder sans risque  (par exemple, la nullité de la vente) à la vente de son bien à un autre  acquéreur que la collectivité publique. En effet, il est de la  responsabilité du vendeur de prendre connaissance de la décision en  récupérant la décision de préemption. Il s’agit aussi pour la personne  publique de pouvoir notifier dans le délai de deux mois qui lui est  ouvert, sans que le destinataire ne puisse y faire obstacle en n’ouvrant  pas au facture ou à l’huissier.

Décryptage juridique

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